Des cons sous influence

Quand je pense au mot influence je me souviens de cette chanson de Sylvie Vartan de 1987, Une femme sous influence: "les yeux fermés je t'aime à l'avance, quand tu es loin j't'écoute à distance, je suis toujours et sans défaillance une femme sous influence..." -ou à l'expression sous l'influence de drogues ou ne laisse pas tes mauvaises fréquentations t'influencer que me répétaient mes parents une fois pas mois...Mais jamais, jamais je n'aurai pensé que l'influence deviendrait une profession à temps plein pour les cervelles à temps vide.

J'ai mal aux neurones. Je vous jure. On peut avoir mal aux neurones. Ça arrive quand le niveau de ridicule est tellement haut, tellement profond, tellement absurde, que l'allergie ne se limite plus à l'épiderme. Elle développe des racines incontrôlables qui vont percer dans le derme, les muscles, se répandre comme un frisson sismique à travers les vertèbres jusqu'à la boîte cranienne, ravager votre cervelle qui en est encore à assimiler le 2.0 et attaquer vos pauvres petits neurones. Ça fait très mal.  Il n'y a pas de remède. Enfin, si. Les faits de brosser un portrait du ridicule, de le matérialiser, de le cracher sur du papier et ensuite de froisser le papier et de le foutre à la poubelle là où il appartient, pourraient à la rigueur calmer la douleur.

Maman c'est quoi un influencer? Comment dire à mon fils qu'il pourra un jour passer le gmat pour devenir un influenceur de cons? 

Tous ces petits boulots virtuels milléniaux ... En brouillon dans mon cahier de notes j'avais commencé à préparer plusieurs articles les adressant. Jusqu'au jour où mon amie, Médéa Azouri, journaliste, a posté une phrase qui m'a illuminée: When I grow up I want to be an influencer. Et là! J'ai trouvé. Je vais tout vous dire. Prévenez: panadol, paracétamol, lexotanil, tequila. Ce qui vous convient mais armez-vous et préparez-vous à ce que je vous tape sur les nerfs comme on tape sur des bamboos.

Je ne peux pas couvrir toutes les catégories de cette espèce fascinante. Si je dois être juste, le influencer marketing fait bel et bien partie des programmes universitaires d'aujourd'hui et si je dois taire mon sarcasme un instant, il y en a qui le font sérieusement. Mais ce joli texte plein d'amour ne s'adresse pas à eux mais plutôt à ceux et surtout à celles que vous connaissez sûrement, qui font de rien...eh ben rien.

C'est très simple pourtant. Moi j'ai étudié le Droit pendant 4 ans ensuite je me suis spécialisée en Droit des Affaires à Paris-Dauphine (ce qui a coûté une blinde à mes parents- si j'avais su que j'aurais pu un jour me faire payer à la photo, je leur aurai allègrement évité ces dépenses inutiles :)). Toi tu as créé ta marque bio, tu as fructifié des terres fertiles, tu as contribué à l'environnement et ta spécialité ce sont les fruits. Elle, est devenue influencer avec spécialisation wanderluster.  

En règle générale, madame/mademoiselle a commencé de façon désinvolte. Une photo (que le pauvre mari qui n'a rien compris a dû répété 10 fois afin de viser le bon angle) postée sur son compte Instagram, quelques centaines de likes inattendus et quelques commentaires admiratifs et le tour fut joué. Le lendemain, en pyjama, dans son canapé, elle modifiait les informations sur son profile: Blanche Neige Official - Image Consultant - Digital Influencer - Mother of Two.

Ses rivales débordent de créativité:

Cendrillon Official - Wifey - Style Traveller - Influencer - Wanderluster

Aurore Official - Public Figure - Influencer - Foodie- Life Enthusiast 

Pocahontas - Writer - Lifestyle Blogger - Brand Ambassador 

Et j'en passe...

Toutes des influenceuses, ça c'est indéniable, puisque elles ont en moyenne 50,000 followers sous influence.

Je ne sais pas ce qui me tue le plus:

Le "official" parce qu'il y aurait des idiotes qui cherchent à les plagier? 

Le "writer"...Ah ça, ça me démange. Je ne sais pas ce qui est pire. Le fait qu'elles fassent 10 fautes d'orthographe le mot, 5 erreurs de vocabulaire la phrase et 30 bévues de grammaire le paragraphe (oui le paragraphe parce que certaines philosophent en guise de caption sous chaque photo - kalem jawhari!), et ce, quelque soit la langue de choix. Ou le fait que personne n'ose leur dire qu'il faut corriger et qu'on participe tous au suicide des langues et au génocide des mots. Mais tu veux influencer? Influence correctement au moins! Aie une bonne influence! Mon mari et moi allons casquer 6000 USD l'année pour apprendre à nos enfants à lire et à écrire pour qu'un jour ils tombent sur toi et que je reçoive un message: Maman je ne rentre pas à la mézon. J'ai était à la pissine.

Le "wanderluster"...C'est quoi?

Le "style traveller"...Tu vas où en vacances cet été? À Dolce & Gabbana ou à Chanel? Euuuh je vais en Turquie...C'est style ou pas?

Le "mother of two"...sorte de repentir pour justifier que tu ne travailles pas. Mais ça va! Y en a beaucoup comme toi qui ont choisi d'être des stay-at-home moms et c'est tout aussi noble que celles qui bossent et maternent. Faut pas t'en excuser! Ne le mentionne pas!

Le "wifey"...oui ça tu devrais le mentionner. Rien que pour faire honneur à ton pauvre mari qui ne te voit plus qu'à travers l'écran de sa caméra (et sa poche...).

Le "digital influencer"...parce que tu es sortie du lot! Comment? D'abord grâce à toutes celles qui désirent ce que tu portes, aiment ce que tu dis, veulent faire comme toi et t'applaudissent à chaque sac Chanel du jour. Y en a qui peuvent faire comme toi. Y en a beaucoup qui ne peuvent pas et tu leur vends du rêve. Mais tu ne leur vends pas la réalité.  Ensuite grâce à ceux qui fantasment sur toi ou pire. Finalement, surtout, surtout grâce aux grandes maisons de modequi ont trucidé Gabrielle Chanel, Yves Saint Laurent, Elsa Schiaparelli...Il faut des influencers comme toi pour qu'ils réussissent à réinventer la chehhata version moquette/bichon et les claquettes-chaussettes/demi bas nylon couleur chair dégoulinants de grand-mère et à les élever au niveau de tendance mondiale. Et ben bravo!

Et puis...il y a toutes ces femmes que je connais et que j'admire. Qui savent faire passer du Chanel pour du Zara et du Zara pour du Chanel avec la classe de Grace Kelly et la désinvolte élégance d'Audrey Hepburn et y a même celles qui peuvent se permettre tous les Balmain et les Givenchy du monde au quotidien sans pour cela le crier sur tous les toits et nous en foutre plein les yeux. Elles vont influencer sans le savoir et sans rien en retour.

Alors voila, je répondrai à mon fils: Quand mes parents m'ont demandé qu'est-ce que tu veux faire plus tard, j'ai répondu je veux chanter. Ils n'ont pas aimé. Ils m'ont dit que les probabilités que je finisse SDF seraient grandes et qu'il fallait que je fasse des études qui me permettraient de toujours retomber sur mes pieds au risque de chanter plus tard.

Moi je te dis chante je t'en supplie, chante, danse, fais ce que tu aimes mais de grâce, même si tu en feras des millions, ne deviens pas un con qui influence des cons.

Mes propos n'engagent que moi. Ceci est de l'humour (gris noir) et du sarcasme. Ne pas se sentir visé personnellement. Surtout ne pas oublier que I am a follower as is almost everyone I know, autrement comment aurais-je tellement de culture digitale :p